J'ai le sentiment que le dessin d'un quartier peut s'apparenter à une passion que j'ai développée et qui, dans ces moments d'écoute, rend lucide et rapproche du temps. Le jardinage.
Puis-je comparer cette noble pratique à celle du dessin urbain en disant que la poésie et la fonctionnalité nées du geste jardinier savent donner du sens aux lieux ? Cette comparaison pourrait me permettre d'éprouver cette passion avec certes plus de complexité que celle des sentiers de travail et des parcelles cultivées, mais avec la même volonté. Ceci explique certainement la décision de situer mon étude et mon travail créatif dans la ville.
Site Le site du familistère Godin à Bruxelles est aujourd'hui une friche. La qualité d'espace dont on hérite et l’évocation qu’il renvoie, nous poussent à imaginer qu’un devenir utile et riche lui est promis d’autant plus que le ville populaire est proche et ne demande qu’à y déborder. Outre ce joyau, une zone d’activités exploite le reste des 40ha, délimités par un canal, une bretelle de périphérique et une épaisse batterie de chemins de fer. Ici, entre autres, c’est le marché matinal de fruits et légumes et le marché de gros, où toutes les épiceries et restaurants de Bruxelles viennent s’approvisionner.
Ville Une immense «réserve d'espace» que Bruxelles, dans son rôle de capitale belge et européenne qui semble parfois la dépasser, convoite pour répondre au besoin urgent de loger une population grandissante. Les baux longs cédés aux activités présentes (Marché matinal et Mabru) sont en fin de vie et une révision du Plan Régional d'Affectation des Sols vient de faire passer cette zone d'«activité portuaire» en Zone d'Entreprise en Milieu Urbain (zone mixte). On sent bien que l'avenir du lieu est médité.
Cependant, la ville et les promoteurs ont cette fâcheuse tendance à répondre à côté des enjeux réels en validant des projets estimés sur la valeur marchande qu'ils peuvent produire. Un peu caricatural mais réaliste. La densité des logements haut de gamme fantasmés, la grandeur des gestes architecturaux pour les bureaux et la venue de ces temples de la consommation ne répondront surement pas aux besoins d'une ville mixte, populaire et culturelle. L’élitisme de tels espaces ne fera que repousser les populations pauvres encore plus loin et la nature industrielle du canal prendra l'apparence d'une marina. Des espaces indifférents du contexte et semblables à tout ceux qui naissent dans les villes internationales «tertiarisées». Ne peut-on pas imaginer un autre scénario que ce lissage systématique des lieux «ingrats» fraichement convoités ?
Intuitions La première intuition sur le lieu est d’en faire une portion de ville qui propose, dans sa complexité, de répondre à son contexte proche. Un quartier qui se déploie autour du joyau formé par le familistère et dont l'espace public organise, articule les composantes pour favoriser une vie de quartier. Le logement abordable, les lieux éducatifs, les écoles, le commerce de proximité, les espaces adaptés à l’art, l’artisanat, «l’agriculture» et à la culture en général se côtoient et sont la matière dont la forme singulière est à inventer.
Imaginons qu'au lieu de faire venir la ville jusqu'à la berge, ce qui conduirait inéluctablement à une inflation de l'immobilier, une frange ouverte aux activités artisanales capables d'exploiter la voie d'eau soit réservée. Créant un quai, paysage fonctionnel et vivant sans nier pour autant le marcheur. Plus au centre, les ateliers de carrosserie ont toujours su fonctionner avec le transport par péniche et cohabiter avec l'habitat dense sans faire venir d'immenses camions.
N'y aurait-il pas de nouveaux métiers qui voudraient émerger ?
Peut être qu'en laissant l'opportunité à une économie différente d'exister, celle-ci peut naître spontanément.
Il y a sous le site, une trace plus primitive que le familistère : la Senne, témoin de la vallée dans laquelle s'est établie Bruxelles, continue de couler sous le bitume.
Doit-on et peut-on la retrouver ? Je n'ai pas encore les réponses.
Associations L’engagement citoyen des bruxellois, organisés en un large réseau d’associations militant pour entrer dans le processus de création de la ville et de sa qualité, témoigne de la nécessité de répondre à ces enjeux. Conscients que leur ville leur échappe et que la démocratie qui élabore la cité n’est pas toujours parfaite. Ils s’organisent, travaillent en atelier, rendent transparents les projets de la ville, parfois protestent et parviennent à changer les choses. Cet engagement citoyen a su prendre depuis 40 ans une ampleur qui fait de Bruxelles un cas particulier. Voici donc des interlocuteurs présents sur la scène politique, capables d’écouter des réponses ouvertes. Face à une politique parfois aveugle, ce large réseau d'associations, unies et coordonnées, devient une «institution» légitime qui réinstaure dans l'établissement de la ville un peu de citoyenneté. Le dialogue est déjà entamé et leur point de vue m'intéresse.
Question du canal Bruxelles détient cet avantage indéniable d’être traversée par un canal industriel actif, bordé d’un chapelet d’espaces, adaptés aux activités industrielles employeuses alors même que le chômage grimpe et que la crise énergétique devient de plus en plus certaine. Ces espaces sont une aubaine pour le futur, il faut les ménager.
Voici un enjeu qui questionne sur l’éthique de densifier près de cet axe de communication. La question devient alors : où doit-on construire ? Peut-on sacrifier des lieux qui fonctionnent déjà ? L’industrie pourra-t-elle toujours rester en cœur de ville ?
Le doute a subsisté mais l'enquête apporte les réponses. Le port Bruxelles ne cherche pas à acquérir de nouveaux terrains de développement sur cette zone trop tendue politiquement. Les leurs suffisent, affirment-t-ils, et la ville-région de Bruxelles, incluse dans la Flandre, voit ses ressources territoriales très limitées. Il semble que l'enjeu du logement l'emporte. De plus, le marché de gros et le marché matinal ne peuvent utiliser le potentiel ferroviaire et fluvial pour leur approvisionnement alors que pèse l'enjeu du trafic de camion. La ville propose de réorganiser ces activités sur les voies de chemin de fer plus au nord (Schaerbeek formation) pour les rendre plus fonctionnelles. Espérons qu'elle joue le jeu si elle ne veut pas voir ses sources d'emploi mettre le cap vers la Flandre !
La cité dispose donc bientôt d'un vaste espace relativement vierge pour modeler la complexité d'un quartier. Je me revois vivre cette petite utopie à Blois Viennedans cette modeste parcelle dont le centre était une cabane et qui a généré peu à peu les espaces nécessaires à sa vie, comme un corps crée ses organes. Tout ceci, se faisant progressivement, en fonction des usages et des outils, est devenu un engrenage qui a son sens. Un jardin ou un quartier, j'aime me dire que la parenté est possible. |