Sevran n’est pas un souvenir d’enfant ni un lieu au détour d’un trajet habituel. D'après certains propos, « il n'y a pas grand chose à faire là-bas ». Cela a attiré mon attention. La mauvaise réputation de la ville m’a poussé à entrer physiquement dans les grands ensembles sevranais, « là bas », dans cet endroit parfois considéré comme un autre monde.
Parmi les villes de plus de 50 000 habitants, Sevran est une des plus pauvre. Elle n’est pourtant qu’à trente minutes de RER de Paris. A mesure que l’on s’éloigne de Paris, la paysage s’ouvre et laisse entrevoir la banlieue Nord-est qui fait tant parler d’elle. Je ressens Paris tout proche, presque là. Grand Paris ? Sevran est un pas de porte vers Paris, un paysage d’interfaces.
La petite bourgade céréalière qu’était Sevran au 18ème siècle s’est vue coupée par le canal de l’Ourcq influé en 1803 par Napoléon Bonaparte. Un balai de demi flûtes rapporte alors du bois de la grande hêtraie de Picardie pour construire Paris. L’installation de la voie ferrée Paris-Soissons accentue la imite nord sud.
A la fin du 19ème siècle, plusieurs usines s’installent à Sevran : la Poudrerie Nationale en 1873 et Westinghouse en 1891. Dès 1906, les lotissements se multiplient et attirent une population ouvrière croissante. Le Sud de la commune est livré aux produits des ‘‘pavillonneurs’’ qui découpent les anciens espaces ruraux en parcelles anarchiques. Les pavillons pullulent. Le pôle économique majeur se trouve rapidement enclavé entre les lotissements ouvriers. L’usine Kodak (1925) marque l’âge d’or de la ville. Sevran, aspiré par la poussée urbaine et industrielle, fait alors partie de la ceinture rouge Parisienne.
Au sortir de la guerre, les 30 Glorieuses dictent une vague de constructions nourrie d’une ambition de modernisme. Les pavillons et l’apparition des premiers grands ensembles clouent la ville. Jusqu’en 1975, à l’instigation de l’Etat, le Nord de la commune s’urbanise massivement. Le logement de masse explose.
Cette croissance urbaine fulgurante fait disparaître les plaines limoneuses qui formaient la plaine de France. Alors que la ville répond à la crise du logement, l’industrie s’arrête brutalement dans les années 1990 et laisse derrière elle une profonde carence économique et sociale. Les taxes professionnelles disparaissent, la ville s’appauvrit et vit depuis ce jour sous subvention de l’état. La crise urbaine entraîne le mécontentement des « mal lotis » pour lesquels le rêve laisse place à la désillusion.
Des inégalités apparaissent et un étiolement social désarçonne la ville.
Les ensembles urbains montés les uns après les autres sont là, désarticulés. Sevran devient un amas de définitions nominales (zone sensible, ZUP, ZAC). On segmente. J’ai le sentiment que tout s’est construit trop vite. Comme si tête baissée, dans le seul but de répondre à la crise du logement, on était passé à coté de la question de la ville dans son contexte paysager. Il manque une certaine réciprocité entre l’habitat, l’espace public et le paysage.
Après son expansion spectaculaire, Sevran a besoin de temps pour harmoniser ce désordre. Elle a plus besoin de sens que de changement. La politique de renouvellement urbain tente de lisser à coups de pelleteuse un habitat d’ont nous n’avons pas assez de recul historique pour en apprécier toutes les qualités. Avoir construit Sevran trop vite l’a balafré de zones impensées malgré son patrimoine naturel et historique précieux.
Sevran souhaiterait devenir une « ville-jardin ». Les sevranais disposent de 31 m2 d’espaces vert pour 1 habitant contre 5 m2 pour 1 parisien. Je pense que la ville doit devenir une ville de jardiniers plus qu’une ville-jardin.
Le véritable défi de cette étude est de s’occuper de ce qui est déjà là. Le but est plus de révéler que de transformer.
Ce travail a pour appétit d’adjoindre les différents temps de construction de la ville et de ses écosystèmes qui ne sont pas destinés à l’origine à être perçus comme un tout. Cette démarche prospective développera une stratégie d’intervention entre des espaces singuliers aux capacités d’évolution différentes. Le résultat donnera lieu à une mise en réseau des différentes entités pour former un système insoupçonné à travers la ville. Ce système tentera de trouver un équilibre aux rapports de force entre l’existant construit et celui non construit.
Cet entrelacs aura une résonance départementale et à l’échelle du Grand Paris. L’idée est de créer un socle paysager dynamique fait d’altérités en synergie avec les habitants et les écosystèmes décelés, au cœur de l’agglomération parisienne en quête de devenir. |