Etudiante : Marion Guichard |
Directrice de mémoire : Jacqueline Osty |
Territoire de mémoire, quel futur pour le no man’s land du mur ?
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A première vue, cet espace se présente comme une friche. Une vaste friche triangulaire, enserrée par les rails de S-bahn, dans un quartier résidentiel nord berlinois. En s’y promenant on croise des gens. Riverains venus promener leurs chiens ou simples flâneurs venus là profiter quelques instants encore de la douce lumière des fins de journées d’août ensoleillées. Dans ce vide d’environ deux hectares, la nature a pris place. La nature urbaine, la nature vagabonde, arrivée là par hasard, aux grès du vent, semée par les oiseaux et les semelles des promeneurs. Dans cet espace, la nature se sent bien. Les hautes graminées dorées ondulent sous le vent tiède, à l’horizon, les arbustes touffus laissent à peine deviner la silhouette de la ville devenue peu à peu si lointaine. Dans cet espace, progressivement, on oublie la ville. Ca et là, les habitants y ont établit leurs quartiers. Des salons improvisés se sont créés, quelques canapés, une table basse. On aime s’y rejoindre pour boire une bière paisible en savourant la fin de la journée. Au fil des passages, des chemins se sont créés, des chemins de terre battue, dont le tassement et la largeur reflètent les habitudes. C’est un fragment de campagne comme la ville de Berlin en abrite encore tant. Un train passe soudain, puis un autre. Le vacarme et la vive couleur rouge des trains régionaux berlinois tranchent radicalement avec cet environnement végétal et nous ramènent brusquement à la réalité de la ville alentour. Les vides à Berlin sont fréquents. Caractéristiques de la forme urbaine de la capitale allemande, les vides berlinois, aujourd’hui lieux de vie et d’expression, nous racontent des histoires. Celle de la guerre et de ses bombardements ou celle de la désindustrialisation brutale, c’est bien souvent grâce aux vides que la ville nous laisse lire l’histoire de son passé tout à la fois riche et tellement tourmenté. Le vide de la friche du «triangle humide», contient lui aussi son lot d’histoires. Aujourd’hui refuge privilégié pour la faune et la flore berlinoise, lieu de vie et de rencontre, le vide de la friche du triangle nous raconte l’histoire d’une séparation. Situé sur le tracé d’une longue fissure verte parcourant aujourd’hui encore la ville du nord jusqu’au sud, cette vaste friche nous donne à lire l’emprise du No mans land qu’enserraient les deux murs. Espace de terreur, enclave inaccessible, cette terre demeura durant près de trente ans un «entre deux villes» nu et désolé, inlassablement parcouru par les sentinelles est-allemands. Puis le mûr est tombé. Il a fallut reconstruire la ville. Dans le centre de Berlin, les vides se bouchent peu à peu. Vingt cinq années ont passé et la trace du mûr persiste dans Berlin comme une large plaie que la nature, avec les années, tente de refermer. Haut lieu de mémoire, le tracé du mur a déjà fait en de nombreux endroits l’objet d’aménagements spécifiques. Ce vide historique, volontairement ignoré durant de nombreuses années, permet aujourd’hui la création progressive d’un vaste réseau d’espaces publics, transformant l’ancien espace frontière en autant de lieux d’échange vivants. Mais cette transformation prend du temps et si la ville de Berlin affiche désormais clairement la volonté d’assumer et de tirer partie de son histoire, le tracé du mûr reste encore en de nombreux endroits assez peu valorisé. C’est entre autre le cas de la friche du triangle et de tout le tronçon s’étirant vers le nord. Bien que la ville ait mené en 2006 une étude complète et détaillée sur cet espace, aucune proposition d’aménagement n’a été réalisée et le projet reste depuis lors en suspend. Suscitant à la fois l’intérêt de la ville, du parti vert de Berlin (die Grünen) et des riverains, le travail sur la friche du triangle pourrait venir s’inscrire dans une réflexion plus large visant à mettre en valeur le tronçon nord du mur, liant le Mauerpark au parc naturel de Barnim grâce à un long cordon vert, comme un écrin végétal, pour ce fragment de territoire emprunt d’une histoire contemporaine douloureuse, demeurant aujourd’hui tellement présente et perceptible. |