Un contexte métropolitain
L'intérêt pour l'échelle métropolitaine se fait sentir depuis quelques années au sein de nombreuses agglomérations. La ville de Reims s'est emparée du débat en créant Reims Métropole. Composée de six communes, elle prévoit de s'étendre à 21 d'ici la fin de l'année. Les acteurs locaux questionnent le rapport de la ville centre à son territoire en plaçant l'aire urbaine au sein d'un paysage identitaire et remarquable. Les enjeux de développement sont majeurs : comment la ville de Reims doit-elle composer avec les communes périphériques ? Quel processus engager au profit de la vision métropolitaine, dans quelle mesure l'espace public et l'aménagement urbain peuvent-ils agir en ce sens ?
Le projet Reims 2020 illustre la volonté des élus de définir les potentialités et les enjeux du territoire ainsi que de dessiner une ville durable et vivable. Trois équipes d'urbanistes et paysagistes ont proposé leur vision en présentant des pistes de projets à privilégier. Deux échelles émergent : le grand paysage (l'espace agricole et les liaisons entre les villes) et l'échelle urbaine (les espaces publics au sein même de la ville). Pour que le projet métropolitain puisse inclure ces deux échelles, la question de leur articulation se pose et s'avère parfois problématique, en particulier aux abords des villes.
Un paysage morcelé, altéré par la vitesse
L'installation de l'autoroute A4 dans les années 70 a marqué au fer rouge la forme urbaine de Reims. Installée dans le sillon de la rivière, elle traverse la ville en séparant nettement le centre historique des faubourgs industriels et des nouveaux quartiers résidentiels, ajoutant un second axe à un effet de coupure déjà ressenti par ailleurs au niveau du tracé du canal.
Si elle facilite la mobilité à grande échelle, cette infrastructure présente l'inconvénient de contraindre fortement les dessertes et les déplacements de proximité dans les quartiers qu'elle traverse : pour surmonter et franchir ces deux axes et relier les quartiers de part et d'autre, il a fallu aménager de nombreuses traversées au moyen d'une multitude d'infrastructures et de variations de niveau qui s'avèrent peu favorables à la lisibilité de la ville et à la place du piéton. On entrevoit là une difficulté de l'articulation des échelles du projet métropolitain : cet aménagement est certes structurant pour la métropole dans son ensemble, mais en limitant son emprise urbaine à un lieu de passage il contredit la logique et l'identité d'un paysage précieux pour la ville de Reims.
Si l'autoroute urbaine altère les qualités du lieu, c'est d'ailleurs aussi bien pour ceux qui y passent que pour ceux qui y vivent : pour l'automobiliste, la vitesse de traversée restreint la perception du site. A l'extrémité ouest de la ville par exemple, elle ne permet pas de profiter de la qualité paysagère des milieux humides de la Vesle. Les lignes droites et fuyantes de la chaussée en surplomb du sillon humide offrent des vues fugaces sur un espace qui semble négligé et sans intérêt. Les boisements humides ne sont qu'un décor sous forme d'écrans et échouent à signaler avec surprise l'entrée dans la ville. Sur place, pourtant, la réalité est tout autre : des habitants occupent des maisons très simples, des jardiniers cultivent leur parcelle, les ouvriers viennent travailler à l'usine, les coureurs investissent les quais du canal. Malgré la coexistence d'usages variés, le site paraît ensommeillé, en quête d'une nouvelle identité.
Saint Charles, un faubourg industriel en recomposition.
Quarante ans après la construction de l'autoroute, le parti pris a changé : le paysage urbain et naturel de la métropole doit être considéré et valorisé. Il faut penser la reconversion de cette infrastructure et la façon dont la ville pourra réinvestir ses franges. Depuis mars 2011, une déviation propose un contournement de Reims. En 2012, la portion urbaine de l'autoroute sera déclassée en boulevard urbain, ce qui implique une réduction de la vitesse dans cette zone, de 90 à 50 km/h. Quelles conséquences pour la ville, et comment tirer parti de cette transformation ?
Nous nous intéresserons à cette question à travers les projets de réaménagement de l'un des quartiers contigus à l'autoroute, qui jouit d'une situation bien particulière. Triangle formé par la séparation du canal et de la Vesle, le quartier Saint Charles est à l'ouest de Reims une porte d'entrée jardinée sur la ville, à la rencontre entre le tissu péri-urbain, industriel et le paysage agricole. Il s'agit d'une vaste zone humide : les marais de Reims.
Pris entre le canal et l'autoroute, le quartier donne cependant une impression d'enclavement. De surcroît, il est l'un de ces espaces en frange de ville induits par l'histoire industrielle, qui ne correspondent plus aux usages actuels : les terrains sont en friche et les usines en déshérence. Peu à peu, les immeubles d'habitation viennent remplacer ces vestiges d'une ère révolue, faisant de cet espace en mutation un enjeu pour la commune.
Le déclassement de l'autoroute en boulevard urbain est ainsi une opportunité importante pour le quartier Saint-Charles. La vitesse et ses effets sur le paysage sont un élément structurant de cette problématique. Le déclassement de l'autoroute introduit un nouveau rapport à l'espace : ce ralentissement brutal modifiera le regard de l'automobiliste sur le paysage traversé. En considérant les nuisances qu'une autoroute génère, l'aménagement de la traversée urbaine permet de recomposer le quartier et questionner la vocation de ses espaces, réduisant l'effet de coupure de l'infrastructure et révélant les qualités du lieu. En bordure de ce nouveau boulevard, la Vesle longtemps réduite au minimum par les activités humaines pourrait retrouver une emprise plus confortable, et ainsi développer des espaces en accord avec son milieu. Pour le paysagiste, il s'agit de penser destination de ce site tout en tenant compte des infrastructures existantes, pour arriver à un meilleur équilibre entre ligne de fuite et lieu de vie.
Couture urbaine – recomposer le paysage entre les infrastructures
Le mémoire cherchera à présenter le déclassement d'une autoroute comme une occasion de modifier la structure urbaine d'un quartier ou viendront se rencontrer nouveaux habitats et espaces publics, nouvelles dessertes et des usages existants. Le quartier Saint Charles étant une des portes d'entrée sur la ville, quelle séquence urbaine faut-il donner à voir ?
Tout d'abord, il convient de questionner les occupations possibles de cet espace relativement préservé de l'urbanisation. Entre les jardins ouvriers et les usines désaffectées, les terrains non bâtis offrent un grand potentiel pour les aménageurs. La métropole souhaite créer des lieux d'habitat, de détente et de promenade intégrés au projet de coulée verte le long des berges. L'enjeu est de définir le type d'aménagements dont la ville a besoin, et dans quelle mesure ils peuvent participer à la vie du quartier. Au tournant de l'ère industrielle, comment continuer la ville ? Non pas l'étaler, comme cela a trop longtemps été fait sur les terrains agricoles. Au contraire, il convient là de faire la ville sur la ville, dessiner une nouvelle occupation, de nouveaux usages à l'image d'un palimpseste. Par exemple, la création de nouvelles dessertes sur le site pourraient impliquer une organisation différente des espaces et des usages. Les possibilités étant nombreuses, il s'agira d'évoquer chacune d'elles en considérant les données du site et du programme. Pour ce qui est de l'urbanisation, les nouvelles occupations d'habitat devront fortement tenir compte des aléas d'inondation.
La reconversion de l'infrastructure autoroutière sera ainsi un moyen pour Reims de penser ses vides et continuer la ville en réinvestissant des franges longtemps perçues sous la forme de nuisances. Le déclassement en boulevard urbain doit être l'outil d'une revitalisation urbaine, qu'il faut engager dès à présent. |