Une enclave industrielle entre la ville et son fleuve :
L’Est parisien, en amont de la Seine, a toujours été un lieu propice au développement des industries. La présence immédiate du fleuve a permis un approvisionnement en eau illimité ainsi que l’accès des barges et des péniches. Progressivement, un paysage de Seine industrielle s’est mis en place, fait de palplanches, de quais et d’usines. L’arrivée du chemin de fer Paris-Orléans n’a fait que développer et conforter ces territoires entre la ville et le fleuve dans leur vocation industrielle, les reléguant à la portion congrue entre la Seine et le chapelet de villes populaires (Ivry-sur-Seine, Vitry-sur-Seine, Choisy-le-Roi…) qui la longe.
C’est ainsi qu’aux Ardoines, sur la commune de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), à 3 kilomètres du périphérique parisien, s’est lentement installée une enclave d’industries lourdes, cernée à l’Ouest par un tissu urbain dense (quartiers pavillonnaires et grands ensembles) et délimitée à l’Est par la Seine. ce fragment de territoire aux portes de la capitale a toujours été un îlot à part dans la structure urbaine de Vitry-sur-Seine, entre la ville, le rail et le fleuve.
Avec la succession des différents chocs pétroliers à la fin du XXe siècle, les activités industrielles se sont légèrement ralenties et diversifiées. Les entreprises du secteur tertiaire et les surfaces commerciales se sont implantées sur le site. Pourtant, aujourd’hui encore, le site des Ardoines reste un noyau industriel et économique dur, un territoire cloisonné de 300 hectares à l’identité forte, plus que jamais orienté vers la production, le transport et les services.
Autour du fer de lance qu’est le site de production électrique de la centrale thermique EDF, se côtoient différentes activités : pharmaceutiques (Sanofi-Aventis), pétrolières (dépôt de carburants BP), gazières (Air Liquide), transports (centre d’essai SNCF et transports frigorifiques STEF), gestion des déchets (SITA), des surfaces commerciales (E.Leclerc), ainsi que de nombreuses entreprises de tailles plus réduites.
Aux Ardoines, le paysage s’est donc construit avec des tuyaux blancs, des hangars brillants, des tas de charbon noir, des cuves énormes et des cheminées immenses Mais il renferme également, au plus secret de lui même, les chemins de halage verdoyants de Vitry, les pavillons de la rue de la Seine, l’écluse du port à l’Anglais … un territoire à la configuration, à l’organisation et à l’esthétique uniques.
Le départ de la centrale EDF, amorce d’un tournant décisif :
Pourtant, en 2015, ce site devra s’engager dans une transformation radicale, avec le départ programmé de la centrale EDF. Construite à la fin des trente glorieuses, cette centrale est venue remplacer la centrale Arrighi pour pallier à la demande toujours croissante d’électricité. Fonctionnant indifféremment au charbon, au gaz ou au fioul, l’hégémonie du nucléaire en France et l’envolée des prix du pétrole dans les années 90 vinrent mettre un frein considérable à son activité. Elle ne fonctionne aujourd’hui que de manière très épisodique (moins de 500 heures par an) pour écrêter les brusques demandes en énergie de la capitale. Les travaux que nécessiterait la centrale pour une nouvelle mise aux normes ne seront donc pas effectués par EDF, au vu des investissements colossaux déjà réalisés et de sa faible rentabilité. En toute vraisemblance, elle devrait donc être démantelée et libérer une emprise de plus de 40 hectares dans un avenir immédiat. Quelles seront alors les conséquences sur le site des Ardoines ? Quel avenir pour un site qui attire déjà les convoitises et toutes les perspectives d’un développement urbain « à l’échelle de la métropole » (Opérations d’intérêt national de l’EPA-ORSA) ?
Un site stratégique déjà convoité :
Cette mutation s’amorce au moment même où la perception de l’urbanisation est elle aussi en plein changement, sur un modèle de villes vertes, de nouveaux centres urbains et de pôles multimodaux.
Le fait que se libère une telle emprise aux portes de Paris, crée toutes les conditions favorables à l’implantation d’un nouveau quartier, calqué sur ce genre de modèle urbain. Comme le préconise le plan guide de l’EPA-ORSA, il s’agirait aux Ardoines d’opérer un « reformatage » du site et d’implanter des zones résidentielles, des locaux tertiaires et des entreprises. En suivant ce raisonnement, le territoire devient support de nouvelles fonctions, de nouveaux usages, de nouveaux accès sans réels liens avec ce qui a fait la marque de fabrique de ce site à l’esthétique si particulière, parfois bancale et peu attrayante, mais riche d’une identité, celle d’un passé industriel fort.
Pourquoi ne pas revenir au site lui même, afin d’éviter de lui appliquer un modèle qui n’est peut-être pas le plus opportun ? Face aux enjeux que représentent la mutation d’un tel site, il est peut-être prudent de s’interroger et ne pas se laisser à la facilité d’un énième projet de développement. Pourquoi rompre la vie industrielle qui a laissé une trace indélébile aux Ardoines ?
Vers un site dans la continuité industrielle :
Ce site aurait pourtant de bonnes raisons de rester dans une logique industrielle. A l’heure ou les grandes usines et entreprises se regroupent autours des pôles logistiques autoroutiers, les Ardoines ont toujours disposé de deux moyens de transports aujourd’hui considérés comme « alternatifs », mais présents depuis toujours : le transport fluvial (1 barge équivaut à 90 camions) et le transport ferroviaire (1 convoi de fret équivaut à 50 camions), moins chers et moins polluants que le transport routier.
Il ne faut pas oublier non plus que le site se situe dans un secteur quasi-limitrophe de Paris, gage de visibilité, d’accessibilité et de dynamisme économique. Pour preuve les structures déjà présentes sur le site se développent, se modernisent et parfois même s’étendent (Sanofi-Aventis). Les Ardoines ne sont pas dans une période de déclin économique et ont toujours eu une configuration bien adaptée aux industries d’hier et d’aujourd’hui.
Le pari réside peut-être alors dans la possibilité de trouver l’adéquation parfaite entre le site et les industries de demain ? Industrialiser, mais pas de n’importe quelle manière. Il est primordial que ce site soit « pionnier » dans l’accueil de nouvelles industries adaptées aux exigences environnementales actuelles. (zéro émission, rejets, traitement des eaux, intégration au site, gestion de l’énergie…) et en mettant un terme aux activités les plus polluantes (hydrocarbures…).
Favoriser l’arrivée de nouveaux secteurs d’activité peut également être un moyen de donner un nouveau souffle aux Ardoines (matériaux innovants, biotechnologies, énergies renouvelables, recyclage…), ainsi que d’encourager l’implantation de plus petites structures. Après des vagues successives de délocalisation industrielle, on assiste aujourd’hui à des exemples de relocalisation en France, face à l’augmentation des coûts de transports et du prix de la main d’œuvre étrangère. Les emprises qui accueillaient jadis ces entreprises en France ont été pour la plupart urbanisées ou reconverties. Face à la difficulté de ces entreprises à trouver des sites d’accueil qui présentent une telle configuration, à l’interface du rail et du fleuve, c’est donc peut-être la relève industrielle qui s’amorce ici. |