Il est des lieux qu’on ne soupçonne pas, qu’on ne voit pas. On les longe, mais on ne les traverse jamais. Dissimulés derrière de hauts murs jalonnés de panneaux d'interdiction, ils ne suscitent même plus un élan de curiosité. Le temps et la ville nous ont fait oublier ces lieux pourtant si souvent frôlés. Cette ville, je l'ai pourtant arpentée, je l'ai vécue. Comment ai-je pu si longtemps ignorer cette imposante structure pourtant si marquante dans une ville ? Je la découvre par hasard sur une photo aérienne. Abandonnée depuis une dizaine d'années, cette caserne militaire s'est refermée peu à peu sur elle même, laissant la nature reprendre le dessus sur la rigueur d'un système aboli.
Le site se trouve au coeur de l'éventail gersois, dans la ville d'Auch, préfecture de 22 545 habitants. La rivière, le Gers, sépare la Haute ville, lieu de la cité médiévale construite sur un promontoire calcaire, de la ville basse qui s'est développée dans l'étroite plaine du Gers en faisant cohabiter quartiers anciens, zones pavillonnaires, zones d'activités et casernes militaires. L'une d'entre elles a retenu mon attention : une ancienne caserne de cavalerie abandonnée depuis une dizaine d'années, la caserne d'Espagne.
Au début de la Troisième République, de nombreuses casernes militaires sont construites sur tout le territoire, afin de répondre aux besoins d'accueil des nouveaux citoyens soldats que forme le service militaire tout juste mis en place. Dans cet élan national, Auch se voit ainsi doté de la caserne militaire d'Espagne. Placée à proximité des infrastructures ferroviaires et routières, on la construit au coeur de la ville afin d'afficher fièrement le nouveau pouvoir militaire de la France.
Prise dans le tissu dense de la ville basse, elle se déjoue pourtant de la vie urbaine. S'inscrivant sur une parcelle de 11 ha, elle se compose de deux bâtiments organisés en U qui se font face à face de part et d'autre du Gers. Ils libèrent en leur centre deux immenses places reliées par un pont. écuries, cuisines, ateliers et autres dépendances prolongent le site. C'est une ville interne en état de dormance. La place d'armes est grignotée de mauvaises herbes, les jardins des généraux accueillent un fouillis d'arbres et d'arbustes venus là spontanément, les alignements de platanes effacent désormais la rigueur des bâtiments derrière leur feuillage. Mais lorsqu'on entre dans le site, on reste surpris par sa démesure. La puissance militaire affichée est toujours autant écrasante, déstabilisante, et son état d'abandon la rend d'autant plus inquiétante. On est enfermé entre ces murs, coupé du reste de la ville. Seule la cathédrale se devine. L'unique lien est la rivière. Les berges aménagées du Gers laissent désormais apercevoir la caserne mais ne la rendent pas pour autant accessible. Toutefois, malgré cette longue période de dormance, la mairie prend peu à peu conscience de l'intérêt de ce patrimoine exceptionnel et commence à réfléchir à des projets de reconversion. Actuellement, ils ne touchent qu'une partie des dépendances de la caserne, et concerneraient la création d'un équipement culturel dans le domaine des arts du cirque.
Soumise aux aléas de la rivière, une coulée verte prolonge le site. Laissée en prairie, elle accueille tous les ans un important salon de l'agriculture. Les aménagements y sont très restreints. Cloisonnée entre la RN 21 et le coteau, elle aboutit sur une zone d'activités relativement excentrée. La RN 21 a entraîné un important développement de l'habitat individuel. De l'autre côté, le coteau agricole a ralenti l'urbanisation pendant un temps, mais commence, lui aussi, à être grignoté par le pavillonnaire. On observe cependant encore quelques grandes parcelles cultivées de céréales, soulignant le caractère rural de la ville.
Réunir le site de la caserne et la longue coulée verte permettra de faire ressortir les enjeux de l'entrée nord d'Auch. Ici se pose la question d'une nouvelle centralité pour la basse ville mais l'ensemble se place aussi comme un accord entre le tissu dense de la ville et les zones périurbaines, commerciales et agricoles. Comment ce noyau participera à la fabrication d'une ville en rapport avec son environnement ? Quant au devenir de la caserne, il n'y a point d'évidence. Le site pose de nombreuses questions sur les possibilités de sa reconversion. Entre autres celle du détournement de sens d'un lieu voué à un usage particulier. L'empreinte du passé est forte et rend difficile l'appropriation d'un tel lieu. Comment cette articulation particulière, propre à l'usage militaire, peut-elle répondre à des besoins urbains ? |