Etudiante : Elise Dauchez |
Directrice de mémoire : Jacqueline Osty |
A la recherche des fantômes du passé, le site archéologique de Ribemont sur Ancre. |
«C’est grand hasard si l’on voit exactement ce que l’on ne se soucie point de regarder», J.-J. Rousseau, L’Emile. Appréhender un paysage est subjectif. Le regard, propre à chacun, identifie un lieu selon ses aspirations, ses connaissances, son passé. Ainsi, le paysage ne prend toute sa valeur que par notre représentation personnelle, il se réfère à notre culture, à notre affect. L’intérêt porté par l’art et les civilisations passées m’ont amené à découvrir un lieu surprenant où le paysage vient à nous parler d’histoire humaine et architecturale ; un territoire en proie à des affrontements, des constructions, des réorganisations, qui peu à peu se sont effacés et ont laissé un paysage vide de tout indice. Le passé devient invisible et dégage une atmosphère mystérieuse. L’âme du lieu devient matière à créer, à témoigner de cette étonnante histoire. Dès les années 1960, l’archéologue Roger Agache entreprend une série de prospections aériennes sur le territoire picard. C’est en 1962 qu’il découvre dans la vallée de l’Ancre, un petit affluent de la Somme, à 17 km à l’Est d’Amiens, des traces provenant de fondations antiques de deux grandes cours, dominées par un grand bâtiment. Les empreintes, perceptibles par la variation des teintes des cultures et du sol dénudé par les labourages, témoignent d’un vaste site antique au nord de la commune de Ribemont sur Ancre. En 1966, le site archéologique est choisi dans le cadre d’un ambitieux programme de fouilles. L’existence de blocs architectoniques, de plaques de marbre ainsi que d’un matériel inattendu, amène les fouilleurs à évoquer une hypothèse cultuelle datant du IIIème siècle avant JC. A partir de 1970, la poursuite des détections aériennes dévoile de nouveaux vestiges en système de terrasses, prolongeant considérablement le site vers le sud, jusqu’à la rivière de l’Ancre. Les limites de la zone historique ont ainsi déterminé soixante dix hectares depuis le plateau jusqu’aux abords de Ribemont sur Ancre ; soit un kilomètre de long et cinq cent mètres de largeur. Le plan général identifie des restes datant du Ier siècle avant JC : un sanctuaire sur la partie haute du coteau, un amphithéâtre de 3000 places, de nombreuses dépendances et un ensemble thermal ; ce dernier s’alignant avec le temple sur un même axe, l’axe de symétrie général du site. Avec la mise au jour en 1982 d’un spectaculaire dépôt d’os humains et d’armes laténiens du IIIème siècle avant JC, l’interprétation du site prend une dimension nouvelle. En effet, les vestiges exceptionnels démontrent la présence du plus important sanctuaire celtique rencontré à ce jour en Europe. Ce lieu de culte gaulois est inhabituel par l’élévation d’un monument commémoratif de type trophée, élevé en mémoire d’une bataille considérable, qui s’est déroulée sur les bords de l’Ancre. Ce nouveau programme de fouille s’est accompagné de la création d’un centre de recherche, devenu en 2001, le centre archéologique départemental, au coeur de Ribemont sur Ancre. Aujourd’hui, l’ensemble du site gallo-romain n’est perceptible que sur le plateau. D’une superficie de trois hectares, les excavations du temple sont sauvegardées dans des entrepôts ou protégées par des bâches aujourd’hui dégradées, laissant apparaître les fondations. Ce secteur étudié, fermé par une ligne boisée sur le plateau, dégage cependant un large panorama sur la vallée et les versants opposés. En descendant vers le cours d’eau, les champs de blé ont remplacé les architectures antiques, et rien ne semble présager ici un site historique remarquable. Une route départementale traverse le paysage, au nord de l’amphithéâtre, créant une véritable rupture par son profond décaissement. Les cultures céréalières, les prairies et les pâtures couvrent un paysage aux horizons dégagés, ponctués de boisements épars sur les versants, entaillés par une succession de vallées sèches. Ribemont sur Ancre, commune de 650 habitations, constitue un village-rue, construit en forme de L. Son parcellaire jouxte le site archéologique et borde le fond de vallée. Les toitures en sheds de l’ancienne fabrique de filature et de teinturerie du 19ème siècle soulignent le passé industriel de la vallée de l’Ancre. Les fouilles pratiquées sur le temple ouvrent également les perspectives au nord, vers l’aérodrome de Méaulte. Ses bâtiments imposants surgissent au sein d’un versant cultivé, strié de lignes horizontales boisées. Au sud, la cheminée d’une ancienne briqueterie à quelques kilomètres de Ribemont sur Ancre crée un point de repère frappant sur l’autre versant. Le territoire observé me transporte dans un climat plutôt particulier. L’atmosphère des lieux, insaisissable, vacille entre ma perception visuelle de la vallée de l’Ancre, et d’une émotion liée au passé, aux empreintes que je peine à distinguer parmi les blés. Sur le coteau, le souffle du vent semble animer l’âme du site, les blés fléchissent, les teintes varient insensiblement. Les questions m’envahissent. Je tente inlassablement de situer et d’imaginer cette agglomération gallo-romaine, vieille de plus de 2000 ans. Les repères sont minces et me privent d’apercevoir quelques traces. Cependant, le désir d’exploration est grand et s’avère imminent. L’idée de parcourir les lieux, de chercher et de comprendre l’organisation des architectures antiques devient fascinante. Le paysage constitue le support d’informations précieuses. Il implique une vision extérieure au site archéologique, par avion, où celui-ci est visible et saisi de toutes indications, et d’une vision intérieure, au coeur des vestiges, où l’invisibilité et le secret prédominent. L’imperceptible, comme moteur de création, entraîne une contemplation profonde du paysage. C’est par la révélation des éléments architecturaux disparus, enfouis que le paysage prendra toute sa dimension. La relation indissociable de l’histoire, de l’art, affirmé par les traces créant des figures d’une parfaite symétrie et du paysage vivant est le moteur du travail de conception. Ce rapport transforme la vision de la vallée de l’Ancre. Celle-ci devient remarquable et énigmatique. |