Le cadrage et la représentation font du paysage « un agrégat de formes ». Cette vision distante est fondée sur des acquis sociaux et culturels.
En réduisant le paysage à sa simple représentation, l'homme devient spectateur et non plus acteur.
Ce type de paysage est immédiatement condamné.
Le paysage devrait être, à l'encontre de ce postulat passif, espace, mémoire et donc expérience. Aujourd'hui, le paysage tend à évoluer, dans sa représentation bien sûr puisqu'il en est indissociable, mais surtout dans son essence même.
Pratiquer la gravure pour penser le paysage amène à ressentir l'espace par le biais de la matière. C'est une tension permanente entre vide et plein. L'espace en est induit. Gravure et paysage sont ici liés par le fait de penser par le vide, par sa masse, par la ligne, d'évaluer la matière. La gravure joue avec le temps. Le temps joue avec le paysage.
La gravure est lenteur, attente, réflexion, en contraste avec le monde actuel qui avance sans se retourner. Elle est aussi projection hasardeuse. L'accident fait partie de la démarche.
Gravure et paysage évoluent conjointement dans le temps. La perception est physique plutôt que induite par des formes définitives et closes.
En partant de l'idée que la gravure amène à voir différemment le paysage, elle doit trouver son propre langage. Un langage qui réinventerait à la fois gravure et paysage, basé sur la méthode, la pratique et le ressenti.
C'est une remise en question des acquis, une mise en abîme, une instabilité fertile.
Le paysage répond souvent à des problématiques « mécaniques » suscitées par une obsession du rationnel. En admettant cela, on admet aussi l'exclusion paradoxale du centre d'intérêt premier, le paysage dans son tout.
Le paysage aujourd'hui est lancé sur sa propre autoroute.
Lier gravure et paysage permet ce possible, cette pause, cette remise en question. Le paysage revient à sa propre définition. La gravure devient outil de cette démarche.
Le site choisi permet l'application de cette théorie.
Il s'agit d'un espace inattendu dans la périphérie proche de Strasbourg.
Le tissu urbain se délit brutalement, les réseaux enchevêtrés se dénouent, on débouche sur un espace ouvert. C'est la basse vallée de la Bruche, trame verte à l'ouest de l'agglomération.
La Bruche est un cours d'eau impétueux que l'urbanisation ne peut que fuir. La brutalité des crues associée à une géomorphologie spécifique rend, en effet, inconstructible cette zone de dépression. Toute « fonctionnalité immédiate » en est écartée.
Restent des traces du passé, ligne de délimitation, ceinture de défense militaire, vestige de tracés divers qui s'inscrivent dans la matière comme sur un palimpseste.
Le contraste entre vide et plein est saisissant. La matière est révélée par l'horizontalité évidente. Cette pause dans le méandre de l'urbanisation porte à la réflexion. Le site semble être en quête de sa propre identité.
A la périphérie de cette « plaine urbaine » commence un nouveau langage de la perception de l'espace ; un jeu entre la trame, la ligne, le franchissement. Longitudinal ou transversal ?
Aujourd'hui cette pénétration du vide, parenthèse dans l'urbanisation, tourne, paradoxalement, le dos à la ville.
L'entreprise consistera à élaborer une méthode alphabétique de gravure qui tendra à prouver que le paysage peut s'appréhender différemment.
Comment, par le biais de ce nouveau langage, donner une existence nouvelle à ce prolongement urbain ?
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