Terrains de jeux interdits pour les enfants, supports graphiques pour les artistes, les blockhaus sont actuellement en sursis. Il y a quelques années encore, ils dominaient les plages de l'Atlantique. Aujourd'hui, descendus des dunes de quelques mètres, ils participent à l'étonnante prestation que donnent les gerbes d'eau. Tels des geysers, elles sont projetées à plusieurs mètres au-dessus de la carcasse du blockhaus qui émerge de la surface de l'océan. Ce spectacle s'accompagne d'un bruit sourd, celui de l'eau qui s'engouffre dans une cavité. Année après année, les habitués de ce lieu s'émerveillent ou se désolent à la vue de ce spectacle surnaturel. Les Ferret-Capiens, lors de leurs promenades sur le rivage, s’imaginent avec douleur leur maison dans la situation de ces abris réputés inébranlables. Effectivement, les blockhaus sont les témoins de l'Histoire, mais aussi de l'érosion marine qui frappe la péninsule du Cap-Ferret.
Cette flèche sableuse s'étend sur 25 kilomètres. Elle est coincée entre la rudesse de l'océan et la quiétude de la mer intérieure. D'un côté, les vagues battent le rivage, grignotant le pied de dune un peu plus à chaque marée. Une bourrasque, le sable s'envole, emporté par mètres cubes par le vent d'ouest. La dune est mobile, elle avance puis recule. Parfois, comme en 1975, elle recule tellement qu'elle ensable la forêt, les habitations. Et puis, c'est de nouveau l'eau. On est de l'autre côté de la presqu'île, "côté Bassin". L'insoupçonnable. La lagune, calmement, se couvre et se découvre deux fois par jour, laissant des centaines d'hectares à nu. Les vasières, les parcs à huîtres, les chenaux et quelques bateaux aux corps-morts couchés sur le flan, composent cette carte postale idyllique. Et pourtant, la mer, ici aussi, attaque. Elle gagne sur la terre, engloutissant plusieurs mètres de foncier en une nuit, s'acharnant contre les enrochements de protection.
La presqu'île du Cap-Ferret est donc soumise à une érosion éolienne et à une érosion marine particulièrement active à la "Pointe". Elle est issue d'un phénomène cyclique d'ouverture des passes du Bassin d'Arcachon. Ces deux formes d'érosion ne semblent pas la mettre en péril. Pourtant, combinées à la menace de la montée des mers, ce petit bout de terre risque d'être submergé. En effet, la montée des océans est estimée à 44 cm d'ici la fin du siècle selon la GIEC (Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat). À plus long terme, les perspectives sont de moins en moins rassurantes : une augmentation de la température moyenne de 2 à 2,5°C en 2100 conduirait à une élévation du niveau de la mer de six mètres en l'an 3000. Tout au long de cette période, l'activité de l'érosion marine devrait s'accélérer et s'accompagner de l'accroissement d'événements climatiques tels que des tempêtes ; ce qui aura pour conséquence d'accentuer l'érosion des plages, ainsi que la submersion du littoral et ses terres adjacentes.
Le Conservatoire du littoral, l'ONF et d'autres collaborateurs restaurent, protègent, étudient, analysent et luttent, mais seulement contre l'érosion. Le niveau réel de la montée des océans reste une incertitude. Toutefois, dans cette logique générée par le changement climatique, je pars du postulat que la pointe du Cap-Ferret est amenée à disparaître, érodée, submergée. Dans l'optique de ce changement, comment anticiper un réaménagement du territoire en fonction de la transformation progressive du littoral ? On avait prévu la fonte du Groenland d'ici un millénaire. Aujourd'hui, il se dit qu'il pourrait être fondu d'ici 500 ans ou qui sait 200 ans. Quelle sera alors la situation aux horizons 2100, 2500 et 3000 ? Quelle nouvelle position et physionomie aura le trait de côte ? Comment prévoir les conséquences sur les milieux naturels actuels, sur les activités économiques existantes, sur les infrastructures et à terme, sur l'urbanisme ?
La réflexion sera portée à l'échelle du Bassin d'Arcachon pour extraire les problématiques, les dynamiques et les enjeux principaux de ce paysage incessamment ouvert sur l'océan. Le projet issu de cette réflexion proposera une planification urbaine des communes en périphérie du Bassin d'Arcachon. Une réponse à l'échelle de l'une d'entre elles permettra de donner les orientations stratégiques d'aménagement du territoire puis de les adapter à l'ensemble de ces communes.
|