Au XIXème siècle, le nord de l'agglomération lilloise, alors capitale mondiale du textile, s'est développé considérablement et a vu sa population augmenter dans des proportions énormes en l'espace de quelques décennies. La ville était alors peuplée en grande partie d'ouvriers, habitant au plus proche de leurs lieux de travail, ce qui a engendré un urbanisme morcelé d'habitats et d'industries.
La crise, apparue dans les années 1970, a vu la restructuration du secteur textile, engendrant une paupérisation de la population et un départ de beaucoup d'ouvriers. Trente ans plus tard, certains de ces quartiers, autrefois dynamiques et animés, sont délaissés, laissant place à des espaces issus de l'industrie à présent abandonnés. La zone dite « de l'Union » s'organise autour d'un de ces lieux au passé fort et souvent douloureux. Ici, les usines, à présent toutes fermées, sont établies au coeur même du tissu urbain de Tourcoing, Roubaix et Wattrelos et sont donc attenantes aux rues, lieux de vie et habitations d'une classe ouvrière qui a peu à peu déserté le terrain.
Par sa situation (à mi-chemin entre les centres-villes respectifs de Roubaix et Tourcoing) et sa proximité avec les différents axes de communication, l'Union présente de fortes potentialités ; c'est une zone destinée à plus de fréquentation et de vie. Ceci a incité la Communauté Urbaine de Lille Métropole, par le biais de l’Etablissement Public Foncier (EPF), à racheter les terrains et lancer des études de définition pour la zone. Le projet retenu, celui des architectes et urbanistes réputés Reichen et Robert, propose de faire de cet espace nouvellement libéré un pôle d'excellence métropolitain basé sur la dynamisation du secteur économique local (création du Centre Européen des Textiles Innovants, développement au niveau européen du secteur de l'image, du textile et de la vente par correspondance, le tout dans une démarche HQE).
Le programme de l'Union est source de tensions : en l'espace de cinq ans, de nombreux collectifs et associations (habitants, anciens salariés que la crise a touché, artistes, etc...) se sont formés afin d'évoquer le passé, le présent (le terme de quartier désert est ici particulièrement approprié) ou militer pour l'avenir de leur espace de vie.
Le projet de la Communauté Urbaine peine à les convaincre, on parle même d'une « négation du quartier », où l'on a fait table rase du passé, et où l'on n'aurait pas pris en compte les quartiers contigus. D'autre part, certains restent sceptiques quant au retour d'une activité textile dans l'agglomération, conscients de la concurrence des pays en voie de développement dans ce domaine.
Le paysage urbain de l'Union regroupe de nombreuses composantes, qui en font un espace complexe et difficile à lire : à quelques mètres du canal de Roubaix, fermé à la navigation depuis 1986 et sur le point d'être rouvert à celle-ci à travers le projet baptisé BlueLink, on trouve des barres de logements sociaux, des maisons en briques rouges habitées ou abandonnées, des fabriques fermées. Tout cela s'articule autour d'une friche, un espace vide, envahi par des plantes suffisamment coriaces pour se développer sur un sol pollué aux métaux lourds, seules traces concrètes de la présence de plusieurs usines rasées il y a moins de dix ans. En résulte un espace terriblement impressionnant et chargé d'un passé riche qui a vu passer plusieurs générations d'ouvriers d'ici et d'ailleurs (Belgique, Portugal, Italie, Maghreb ...) depuis la fin du XIXème siècle. Tout cela se déroule au pied de l'imposante tour Mercure, centre des affaires à la façade de verre de cinquante mètres de haut, qui aurait dû être un point de départ pour l'aménagement de la zone, il y a vingt ans.
Jusqu'à très récemment la vie était encore présente sur le site. On pense en particulier au peignage de la Tossée à Tourcoing et la Grande Brasserie Moderne Terken à Roubaix, deux usines majeures qui n'étaient pas fermées lors de l'élaboration du projet de ZAC sur le site.
Aujourd'hui, tout le monde est conscient de l'intérêt du site, mais le fait qu'il empiète sur les territoires de trois municipalités différentes freine les actions concrètes.
L'Union sera le point de départ d'une réflexion qui concernera non seulement ce site meurtri mais aussi plus largement les liens avec les quartiers proches (l'Alma, l'Epidème, la Mousserie), l'interface entre les centres respectifs de Roubaix et Tourcoing, la position frontalière avec la Belgique.
La problématique intégrera la place de l'usine dans le tissu habité, ce qu'elle représente, les traces qu'elle laisse matériellement mais aussi dans la conscience collective.
Quels éléments de ce patrimoine peut-on garder, comment permettre son évolution ?
Comment appréhender les contrastes du tissu urbain (habitat-usines / parcelles rasées–espaces oubliés) ?
Quel compromis trouver entre la volonté de redynamiser l'économie locale et de créer un espace attractif, et le souhait de sauvegarder, de s’inscrire dans une continuité permettant aux habitants de ne pas être dépossédés des lieux ?
Sur ce territoire où tout reste à faire (ou à refaire), comment aménager les espaces de vie imbriqués dans un patchwork d'ancien et de nouveau, de vides et de pleins, et ainsi favoriser une mixité sociale ?
Comment, à travers un projet de paysage, permettre la cohérence de ce territoire complexe et décousu (bien qu'au coeur même de la ville) tout en prenant en compte le facteur humain ? |