La France est encore globalement considérée comme un pays à forte identité rurale. Aujourd'hui, parler des paysages de France nous évoque encore des horizons ruraux : les champs, bois, villages et bourgades occuperaient une sorte de campagne immuable. Ces images assoient la plupart des politiques de conservation, de développement et de promotion culturelle. La diffusion de ces images permettent la promotion de territoires entiers.
L'attractivité régionale passe par la promotion d'identités locales, où les paysages ruraux tiennent une place importante. La campagne, c’est-à-dire des petites unités urbaines de bâtis anciens encadrées par des étendues cultivées, est un paysage qui évoque l'idée de calme, de sécurité, de qualité de vie et de petite société solidaire. Une image d'épinal en somme.
Pourtant, ce discours et ses sous-entendus sont le support d'une mutation paradoxale : une urbanisation des paysages ruraux. Urbanisation à la fois massive et diffuse car elle touche une multitude de villages, hameaux et bourgs.
Cette urbanisation s'est étendue de manière fulgurante dans des communes rurales de quelques centaines d'habitants. La maison individuelle construite au milieu d'une parcelle clôturée est le nouveau standard de l'habitation. La réalisation de ce modèle concerne la France entière.
Des territoires ruraux restés longtemps périphériques au marché de l'immobilier en raison de l'absence d'une renommée quelconque (site remarquable, village protégé, station balnéaire et/ou thermale...) sont aujourd’hui atteints par l’urbanisation en étant intégrés aux dynamiques de centres urbains éloignés. Les « paysages ordinaires », encore mal définis et valorisés, sont les plus concernés. Le statut d’ordinaire facilite l'urbanisation. C’est une reconversion rentable des terres agricoles dévaluées dans un contexte de marché agricole mondial difficile.
La valeur de la terre s'apprécie de plus en plus aux regards des enjeux géographiques : proximité avec les agglomérations urbaines et les réseaux de communications rapides (aéroport, T.G.V, autoroutes). Vendre la terre, construire une maison, établit une nouvelle donne dans le paysage : l'arrivée massive de nouveaux habitants et une demande croissante de logement (en comparaison avec le nombre d'habitants d'avant)
Devenus ordinaires par le lent effacement des spécificités, parce que l'histoire ne les a ni épargnés ni mis en avant, et parce que l'ordinaire n'a pas encore droit de cité en France et ce, malgré sa reconnaissance dans l'Union Européenne (ou ailleurs, à l'étranger). Peut-on promouvoir ces paysages si rien de particulier n'est à protéger ? Peut-on reconnaître leurs valeurs et accompagner leurs développements ? Peut-on éviter le glissement du paysage « ordinaire » à standard ?
Courbillac est une commune rurale du nord-ouest du département de la Charente de 502 habitants au recensement de 1999 (estimés à 552 habitants en 2006). Son territoire s'inscrit dans une plaine agricole de champs labourés (céréales et oléagineux), vignes (liqueurs et spiritueux du Cognac) et bois. La légère et progressive ondulation du relief induit une relative répartition des usages de la terre. La plupart du bâti se regroupe dans les points bas où un ruisseau au fonctionnement sporadique (le Tourtrat) inscrit une ligne de végétation foisonnante (type cordon de ripisylve).
Les fines parcelles de vignes sont plutôt regroupées sur les marges de la commune, au profit d'un terrain remontant. Quelques bois cohabitent ainsi sur les hauteurs avec les vignes. De rares lambeaux de haies champêtres perdurent parfois le long des chemins et fossés. Dans cette plaine, la silhouette arborée se concentre aux abords du Tourtrat (vieux peupliers, frênes) et dans les hameaux où une plus grande diversité végétale s'est maintenue.
Cette commune compte six bourgs ou lieux-dits, parmi lesquels Courbillac n’est guère plus grand que les autres, mais dispose des équipements de bases (agence postale, salle des fêtes, stade…) et surtout de la mairie et d’une école communale. La forme initiale du bourg est un bâti ramassé, basé sur l'unité : bâti - cours - dépendances agricoles - murs d'enceinte. Ainsi, les rues sont nettement marquées par ces traditionnels murs de pierres. Avec le temps, cette configuration des rues irrégulières s'est enrichie d'espaces communs : la place des Poilus, le parvis de l'église, mais sans esquisser une véritable centralité.
Aujourd'hui, cette configuration de bourg qui s’explique principalement par les activités agricoles (passées et actuelles) se poursuit sur une forme nouvelle : l'habitation sous forme de maison individuelle. Le modèle adopté est identique pour chacune : maison en milieu de parcelle. Si quelques une s'installent au bénéfice d'une densification des dents creuses du bourg, la plupart se construisent sur des champs encore récemment cultivés (mais exclu les parcelles viticoles). Il n'y a pas de plan d'urbanisme. La carte communale est dépassée et une nouvelle est en projet. Depuis le début du « boom » de la construction (1999-2000), la commune a déjà accueilli 60 nouveaux habitants. La conjoncture entre le prix du foncier, le règlement d'urbanisme du Permis de Construire et un marché de la construction efficace permet une réponse rapide aux demandes d'installation. Les néo-ruraux travaillent dans les centres urbains ou villes du département (Cognac, Jarnac, Rouillac) et sont souvent issus de ces villes. La campagne est pour eux un choix d'abord lié aux avantages financiers, mais ils demeurent sensibles aussi à cet environnement. Leur perception de la campagne est plus un « cadre » qu'un paysage auquel ils participent pourtant du fait même de leur présence.
Du côté de la population locale, le conseil municipal aimerait mettre à profit cette attractivité pour son territoire sans perdre les spécificités de son environnement. Il a en projet de lotir un terrain dans le village (récemment racheté, 1,3 ha en face de la mairie) et de faire un règlement afin de gérer la qualité paysagère (la présence notamment d'une haie en friche comme assise). Cette volonté correspond à faire de Courbillac un village vivant et socialement harmonieux. Le travail d'un paysagiste pourrait les amener à rétablir le lien entre l’urbanisation et le paysage dans ces différentes échelles et les aider à se doter d'espaces, supports d'une nouvelle communauté villageoise. |