« Il était
une fois… le Rhin » / « Es
war ein mal… der Rhein »
à certains endroits, le Rhin pouvait s’étendre sur une largeur
allant jusqu’à 2 Km. L’eau de ses nombreuses ramifications
coulait entre plus de 2000 îlots de graviers couverts ou non de végétation.
Le milieu naturel rhénan faisait partie des habitats les plus riches d’Europe.
Suite à la « rectification » du Rhin au
XIXe siècle, les multiples bras d’un lit « en
tresse » sur le tronçon Bâle-Strasbourg et le
cours méandreux plus au Nord furent rassemblés à l’intérieur
d’un système de digues réduisant considérablement
la largeur du fleuve.
Durant la première moitié du XXe siècle, les travaux
dits « de régulation » et la construction
du Grand Canal d’Alsace marquent l’aboutissement d’un
processus de « dénaturation » ; exemple
typique d’un écosystème qui n’est plus fonctionnel.
Engoncé dans un carcan de béton, le fleuve n’est
plus en relation avec sa plaine alluviale.
La suppression de la dynamique fluviale par la régularisation
a provoqué un surcreusement du lit du Rhin, entraînant une
baisse de la nappe phréatique. Les conséquences de cet
acte ne suffisant pas, la forêt, riveraine du grand fleuve, s’est
vue reculer de manière accélérée avec l’emprise
des centrales électriques, puis, de nombreux défrichements
et terrassements destinés à accueillir ports, industries,
voies de communication et gravières.
Les derniers lambeaux de ripysilve rhénane représentent
moins du cinquième de sa surface du début du XIXe siècle.
Le sort est le même pour les Rieds (de l’allemand Riet :
roseau) ; paysages de plaine dominés par les roselières
servant de zones d’expansion naturelles en cas de crues.
La nappe phréatique des Rieds était autrefois
en relation étroite avec le Rhin, mais cette source est aujourd’hui
pratiquement tarie et l’eau provient de rivières, affluents
du fleuve.
Au cours des dernières décennies, la mutation très
brutale de l’espace agricole a transformé la plaine en un « désert
céréalier ». L’agriculture intensive a
perturbé la vocation herbagère qui garantissait la maîtrise
des risques d’inondations et favorisait la préservation
de l’aquifère.
De plus, on fait face à une attaque de front par l’implantation
d’une urbanisation s’opérant dans des secteurs déjà transformés
par l’agriculture. 25% des surfaces en prairies ont disparu en
25 ans.
Diverses actions sont et ont déjà été menées :
maîtrise foncière, charte pour les zones inondables, plan
de protection des forêts rhénanes (création de réserves naturelles,
classement en « forêt de protection »), programme
de restauration des milieux alluviaux du Rhin…
Mais au-delà de la protection, de la préservation et de
la sauvegarde, que se passe-t-il réellement en matière
de « conception aménagiste » et en terme
de « valeurs paysagères socioculturelles » ?
Comment le paysagiste peut intervenir en apportant sa notion du paysage,
autre que scientifique et environnementale ?
En allemand, le vieux Rhin est appelé aujourd’hui Restrhein : « le
reste du Rhin ». Triste nom désignant le sort réservé au
fleuve.
Les forêts rhénanes sont dites « relictuelles » (du
latin, reliquae qui signifie de même : « restes ».
Ce qu’il reste… conservé dans un dessein de vénération).
On parle aussi de « derniers lambeaux ».
être fataliste, c’est refuser ce qui n’a pas encore été fait.
Les problèmes bien connus liés à la destruction des paysages
de la zone alluviale naturelle rhénane (disparition de l’habitat
sauvage, perte de la biodiversité) sont des évidences. Mais qu’en
est-il des souvenirs enfouis, des peurs et rêves ancestraux, des traditions
populaires et des symboles plus récents ?
L’enjeu de l’avenir de ces paysages tient à la restauration
de leur fonctionnalité en tant qu’écosystèmes
forestiers et alluviaux, mais tient aussi fondamentalement à un
autre niveau ; celui de notre mémoire culturelle. |