St Etienne 1910.
Images d’une ville industrieuse, noire, fumante. Capitale d’une
région industrielle prospère qui s’étend d’est
en ouest, de Rive de Gier à Firminy. Ville entière héritée
de la manufacture, des forges et de l’industrie. Ville étirée,
du sud au nord, d’abord le long d’un cours d’eau-égout,
le Furan, puis, le long d’un axe monumental, la Grand rue. St Etienne
se développe, s’enrichit à mesure que ses sous-sols
s’excavent, que ses rubans se tissent, que ses armes s’assemblent.
Un urbanisme fonctionnel, dicté par le besoin d’espaces des
sociétés de mines, des forges et des ateliers de passementiers.
Une guerre spatiale dans laquelle les mines ont été repoussées
aux franges de la ville par les passementiers campés sur les collines.
Les humeurs noires contre les textiles fins.
2003.
Il y a d’abord le Musée de la Mine, comme un noyau, qui s’est
installé dans le site d’extraction houillère Couriot
(du nom du chevalement), dont l’activité a cessé en
1969. C’est le seul ensemble minier « entier » du bassin
houiller de St Etienne ayant survécu à l’arasement
systématique qu’ont connu ces installations à partir
des années 70 : son chevalement métallique, le bâtiment
des chaudières, la salle des pendus et celle de production d’énergie,
la lampisterie et les deux crassiers (terrils). Ils sont la mémoire
d’un temps, aujourd’hui repères dans le territoire
de St Etienne. Un passé bien souvent rejeté.
La friche prend possession des rails et des installations minières
abattues, dont seules témoignent les traces au sol. Au cœur
des délaissés, un campement de nomades sédentarisés
est invisible dans la touffeur des acacias. Une gare abandonnée,
dans laquelle s’arrête encore le train, sans être historiquement
relié au site de la mine (c’est une gare voyageurs), établit
un pont entre ce dernier et la ville. Cet ensemble, séparé
de la ville, la clôt à l’ouest. C’est à
la fois l’entrée de ville de St Etienne et, peut être,
le chemin pour en sortir.
Mais les territoires occupés par la société des mines
de la Loire ne se limitent pas au site de Couriot ; partout autour, des
installations venaient se greffer dessus : les logements ouvriers, une
centrale électrique, une aciérie… Au nord comme au
sud, les quartiers hérités du démantèlement
du système minier (anciens quartiers ouvriers aujourd’hui
devenus populaires, des zones d’activités, des jardins familiaux,
des grands ensembles) encadrent le site et lui tournent le dos. Le tissu
est mité, seules les routes tiennent l’ensemble, comme des
épingles à nourrice.
Et pourtant, le tissu qui reste est riche, de la richesse des quartiers
populaires : un café tapissé de forêts vierges en
posters, au mobilier de formica rouge et jaune citron, un terrain de boules,
un gymnase, la principale bibliothèque municipale, un champ surplombant
la ville, tout cela à quelques pas du centre. Des distances si
courtes paraissent aujourd’hui infranchissables.
Le passé stéphanois remonte encore bien plus loin que l’époque
florissante de l’extraction houillère, jusqu’à
la préhistoire, au Carbonifère, temps révolu du continent
unique : la Pangée. Cette histoire primitive est à l’origine
de la ville, de son enrichissement, de sa crise. Assumer cette histoire,
c’est se donner les moyens d’en écrire une suite. Remettre
le fond à jour est le fil de chaîne qui peut permettre de
retisser la trame de l’ouest stéphanois. |