Les hommes ont souvent dû détruire
pour ensuite reconstruire. D’une certaine façon, la ville
a besoin d’être parfois effacée pour pouvoir mieux
renaître. Mais doit-on démolir systématiquement un
lieu pour lui donner une autre fonction, un autre visage ?
En 1870, un échevin belge déclarait : « Dans tous
les pays éclairés et artistiques, on ne démolit pas
les monuments, mais on les consacre. On me dira que ce n’est pas
le premier monument qu’on démolira à Bruxelles. Mais
c’est précisément contre ces tendances qu’il
faut réagir, parce qu’elles sont pour ainsi dire particulières
à notre ville de Bruxelles, où il semble qu’on ne
peut rien édifier sans démolir autre chose ».
Les Bruxellois ont encore en mémoire les nombreuses expropriations
réalisées aux Marolles, dues à la construction du
pharaonique palais de justice, et la destruction en 1963 de la Maison
du Peuple, splendeur art nouveau de Victor Horta. On a même fini
par parler de « Bruxellisation » pour cette regrettable tendance
à démolir.
C’est dans ce contexte que les cokeries du Marly, site industriel
à l’abandon depuis dix ans, voient aujourd’hui leur
avenir compromis par un projet du port de Bruxelles. Ce dernier veut y
implanter une usine de traitement des boues du canal de Willebroek, étant
donné sa situation de proximité. Et pour ce faire, envisage
la démolition d’un des derniers objets de mémoire
de l’industrie bruxelloise.
Ces cokeries faisaient partie des sept unités de production de
« gaz de ville » de la région. On y produisait non
seulement du gaz, mais aussi de la coke (houille distillée) et
des produits dérivés. Après soixante-trois ans d’exploitation,
le sol du Marly, chargé d’hydrocarbures et de métaux
lourds, est considéré comme l’un des plus pollués
de la région. D’où l’importance de répondre
à la question de la dépollution avant toute éventualité
de projet.
Ces lieux ont longtemps été décriés comme
insalubres, les conditions de travail y étaient extrêmement
dures. De nombreux témoignages parlent des cokeries comme d’un
enfer industriel. Mais de nos jours, les fumées, les flammes, les
odeurs et la poussière ont disparu. Le charbon qui tapisse le sol
tout autour des batteries suinte par endroits sous l’effet de la
chaleur. Les fours de briques sont silencieux, ils commencent à
s’effondrer. Les dernières cheminées en place s’élèvent
à la manière des flèches d’une cathédrale.
Les cokeries ne sont plus qu’un immense site fantôme que l’on
aimerait faire disparaître à tout jamais.
Bruxelles a déjà perdu bon nombre de monuments, il semblerait
qu’une certaine tendance appelée « Bruxellisation »
soit toujours d’actualité. |