Etudiante : Eva Ledecky
Directeur de mémoire : Marc Claramunt
UN EXEMPLE DE NATURE EN VILLE : LE CANAL DE L'ILL à MULHOUSE

Le canal de l'Ill, ou "canal de décharge" a été creusé au dix-neuvième siècle afin de soulager les débordements de l'Ill qui, associés à ceux de la Doller, donnaient lieu à de fréquentes inondations à Mulhouse. Ce canal a un profil en V fait de dalles en béton. Il traverse toute la ville, du sud au nord. Il coupe en deux différents quartiers, différentes entités urbaines, mais il ne semble pas appartenir à la ville. Il est en contrebas de la rue, on le remarque à peine. Peu ou pas accessible, il n'est pas aménagé.

Pourtant, aujourd'hui, le canal de l'Ill évolue de façon très intéressante : l'entretien de celui-ci ayant été réduit depuis une quinzaine d'années, plusieurs groupements faunistiques et floristiques s'installent. Entre les fissures des dalles, graminées et plantes aquatiques se font leur place. Saules et aulnes deviennent à certains endroits assez hauts pour créer un couvert ombragé. La promenade y est douce, agréable, calme, silencieuse. On est en ville, mais on ne le remarque pas. La nature reprend le dessus sur un site modifié par l'homme.

Il s'agit de travailler sur un site meurtri, abîmé, transformé par l'homme, puis abandonné, délaissé, et reconquis par la flore spontanée. Le paysagiste, à l'écoute de son site, doit se laisser guider par celui-ci, dans l'élaboration de son projet. Il ne travaille pas seul, mais avec son site, et avec le temps. La dimension écologique influence fortement le projet de l'Oerliker Park à Zürich (Suisse allemande). "Un paradoxe évidemment, puisque la nature représente la constance même, la durabilité, l'éternel. Ce n'est pas la nature qui a changé, mais l'image que nous nous faisons de la nature. Et ceci est surtout valable pour le territoire urbain, qui est transformé à grande vitesse dans sa totalité. Une des taches essentielles de l'architecture du paysage est de proposer des images contemporaines de la morphologie de la ville, et donc de développer des réflexions sur la nature en ville".

L'ancienne gare de triage près de Tempelhof, terrain sud de Schöneberg, à Berlin, offre l'exemple d'une problématique similaire. Depuis la cessation de son activité ferroviaire, 45 ans se sont écoulés. Sur ce site abandonné, oublié des berlinois, "une portion de nature est née d'elle-même". Le travail devenait alors presque trop facile, pour l'équipe composée de Helmuth Knoll, Andreas Langer et Ingo Kowarik, qui a redécouvert et "aménagé" ce site rêvé. Ce site est devenu une vaste "forêt vierge" urbaine, composée de plusieurs écosystèmes différents allant de la prairie sèche sur monticule de gravats, aux bosquets de bouleaux ou de peupliers, et même jusqu'au plus complexe des écosystèmes, qui est celui de la forêt. "Un petit paradis riche en particularités écologiques et esthétiques".

"Ce site est une véritable expérience en plein-air. Il montre comment s'accomplit le développement d'écosystèmes sur des emplacements totalement modifiés". Les mesures envisagées portent essentiellement sur la viabilisation du domaine. La conservation des espèces et des biotopes est essentielle pour le projet. De ce fait, certaines parties du site ne sont pas accessibles, ou seulement visibles depuis une passerelle. "L'enlèvement d'arbustes isolés ou la fauche de clairières ont permis de définir des espaces différenciés".

Le thème retenu est donc "la conservation de la nature dans son aspect urbain et industriel". "Le parc n'est pas détaché, en tant qu'espace naturel, du contexte urbain; il est étroitement imbriqué avec celui-ci. Il ouvre une perspective sur la vraie nature en ville, ainsi que sur la multiformité de l'essence urbaine, et sur les rapports réciproques entre nature et culture". (Citations tirées de la revue Anthos). Le temps, la lenteur, la dynamique de l'évolution des plantes, sont des éléments très importants à prendre en compte dans le projet. "En 1931, l'architecte-paysagiste danois C.T. Sorensen dessina un plan pour les aménagements extérieurs de l'université d'Arhus. Il prévoyait d'y mettre des chênes. Beaucoup de chênes. Sorensen n'avait pas besoin de penser à la pépinière qui pourrait fournir dans un délai très court des centaines d'arbres d'une circonférence de troncs allant de 35 à 45 centimètres. Il prévoyait simplement de semer les arbres. Trois glands par futur arbre, afin de pouvoir sélectionner plus tard les plantons les plus vigoureux. Aujourd'hui, le parc est couvert de magnifiques chênes. C'est un lieu où l'on peut sentir le temps qu'il a fallu pour que cet endroit devienne ce qu'il est".

Le canal de l'Ill est un site tout en longueur, mais qui a des répercussions sur son environnement proche et lointain, sur la largeur. Il sera nécessaire d'élargir la réflexion à l'échelle du bassin versant, afin de régler d'éventuels problèmes en amont. Il faudra étudier la richesse et la diversité des différentes entités paysagères et urbaines traversées par le canal, afin de faire une proposition d'ensemble, prenant en compte les accès à l'eau, les accroches du canal à la ville, son intégration aux différents quartiers. Il faudra proposer un projet sur la longueur, sur l'homogénéité et la promenade. Un soin tout particulier sera porté au choix des essences végétales, dans ce projet dont la question première sera la suivante :peut-on aujourd'hui parler de la nature de la ville?

à Lausanne, une gestion différenciée de l'entretien a été mise en place par le service des parcs et promenades de la ville (SPP). Ce nouveau concept d'entretien a été établi en réaction à la tendance qu'ont aujourd'hui les espaces verts en milieu urbain, celle de l'uniformisation. "Le terme d'entretien différencié exprime la notion d'identité singulière de chaque espace. Chaque site possède son histoire, sa fonction, sa forme architecturale, son usage. Ce sont des critères qui déterminent les principes d'entretien. L'entretien différencié est à considérer comme un processus dynamique en constante évolution. Privilégier la végétation indigène, réintroduire les prairies fleuries, laisser la végétation spontanée se développer, sont autant de mesures susceptibles de diversifier les ambiances en ville". Enfin, la longueur et la diversité de ce site me permettront d'en choisir une ou plusieurs parties à traiter de façon plus détaillée.

Il faut savoir qu'une portion de canal, située en aval, devant le musée de l'automobile, a déjà fait l'objet de réflexions et d'interventions "test". Sur cette partie, la DDAF (Direction Départementale de l'Agriculture et de la Forêt) a démoli le profil artificiel du canal, et installé des pieux en bois afin de maintenir les berges de manière plus naturelle. Pour l'instant, le résultat n'est pas très convaincant. Le site est plutôt dévalorisé que mis en valeur. Le chemin qui longe le canal, ici matérialisé par de beaux et gros pavés de grès rose, a été à moitié démoli. Le musée de l'automobile, situé au bord de cette portion de canal, a un projet de passerelle pour rejoindre son parking qui se trouve sur l'autre rive. Un peu plus haut, le site PUPA qui longe le canal sera récupéré et transformé en espace mixte, regroupant habitat, espace de jeu et de détente et espace de débordement du canal. Plus bas, la ligne de tram, dont la construction est prévue pour 2005, longera la canal.

Toutes ces transformations, qui risquent de se faire de façon ponctuelle, seront plus pertinentes si une réflexion d'ensemble est menée auparavant. C'est ce que je me propose de faire dans le cadre de mon diplôme. Je pense que le sujet choisi est difficile, car il rassemble de nombreuses problématiques, mais il en sera d'autant plus passionnant.