Directeur de mémoire : Michel Boulcourt
Réinventer un paysage sinistré
Au sud de l’anse de l’Aiguillon, dans les derniers méandres de la Sèvre Niortaise, émerge la commune littorale de Charron. Ce village insulaire décomposé en quatre îlots s’est implanté dans un territoire artificiel : un marais desséché transformé en polder. C’est un paysage anthropisé dont les terres gagnées sur la mer sont pleinement consacrées à l’agriculture.
Paysage horizontal ouvert sur un ciel qui impose les couleurs, les nuances, la baie de l’Aiguillon se découvre au gré des marées et laisse apparaître une étendue de vase piquetée par les pieux du bouchot qui rappelle l’importance de l’activité mytilicole de la région.
Ce territoire subit depuis des siècles les aléas climatiques et la rigueur des tempêtes marines. Pour se protéger, les hommes y ont dressé des digues, système de «défense» contre la mer, et déployé un réseau de canaux drainants. Jusqu’au 18e siècle, l’entretien des digues était régulier, la société de l’époque connaissait la vulnérabilité du site, susceptible de submersions marines en période de grosses tempêtes.
Les populations littorales contemporaines semblent avoir négligé ce que les précurseurs ont mis en place. Peu à peu l’entretien des digues a été délaissé, le modèle des zones pavillonnaires semble avoir convaincu cette nouvelle société qui sous-estime finalement le risque inhérent à ce territoire.
Dans la nuit du 27 au 28 février 2010, la tempête Xynthia ravage le littoral atlantique. Les côtes vendéennes et charentaises n’ont pas été épargnées.
Au lendemain de la catastrophe, Charron a retrouvé son insularité ! Cependant, les habitations situées en point bas ont été dévastées. En plus des dégâts matériels, on dénombre trois victimes emportées par les eaux.
Sous l’action conjuguée d’un fort coefficient de marée et d’une houle violente, les digues usées n’ont pas résisté et ont rompu, laissant pénétrer l’eau comme dans une cuvette.
Les zones urbaines les plus fortement touchées ont par la suite été classées en «zones de solidarité» (ou zones noires). L’État rachète et détruit les habitations, les propriétaires sont relogés.
25 % de la population fixe a déserté le village, plus de 200 habitations vont être démolies. Charron tente de se reconstruire !
Que faire de ces zones de solidarité après l’acquisition puis la destruction des maisons par l’Etat ? Quel avenir pour le village ?
Quelle réversibilité pour ces paysages stigmatisés ?
Doit-on continuer à habiter ce littoral de la même façon ? Et par conséquent, comment habiter les territoires du risque ?
Comment «soigner» un paysage sinistré en gardant la mémoire de la force naturelle ?
Comment prendre en compte les différents échelons décisionnaires au niveau du politique ? Quels sont les rôles et les interventions du paysagiste dans cette situation ?
Dans un contexte de réchauffement climatique et de montée du niveau de la mer : quel avenir pour le village ? Et à plus large échelle pour le littoral et le marais Poitevin ?
Il s’agit d’avoir une approche globale, s’intéresser à l’ensemble, c’est un territoire cohérent par sa géomorphologie, c’est-à-dire à l’échelle du bassin versant.