Directrice de mémoire : Catherine Farelle
De l’ère industrielle à l’ère durable
Au centre du département du Tarn, à cheval sur la rivière qui joue les lignes de démarcation entre un Nord administratif et libre-penseur et un Sud industriel et conservateur, il est une ville qui tricote son destin de toutes ces contradictions, auxquelles elle ajoute les siennes propres.
Depuis le Moyen-Age, elle se pique d’industrie, alors qu’elle n’a ni ressource naturelle ni axe de communication suffisant pour étayer cette ambition, et pendant plusieurs siècles elle s’en tire haut la main, renonce à certaines productions, se recentre sur d’autres, pour finir par devenir cette minuscule capitale mondiale de la mégisserie qui présentait son savoir-faire aux Expositions Universelles de la Belle Epoque. Le tableau est parfait : entre deux grèves générales où Jaurès joue les arbitres, des patrons syndiqués font venir les peaux d’Argentine et entretiennent un aéroclub et une équipe de rugby, tandis que le tracé de la vieille ville reste inchangé depuis l’an Mil.
Passe la Grande Crise, qui met à genoux une industrie totalement dépendante de l’étranger pour ses approvisionnements comme pour ses débouchés. Graulhet (cette ville, donc) s’en remet. A nouveau sa célèbre puanteur se détecte plusieurs kilomètres à la ronde.
Advient la Seconde Guerre Mondiale, qui referme les usines… lesquelles rouvrent de plus belle en 1945, déversant derechef dans le Dadou tout ce qu’il faut de substances toxiques pour que ses eaux virent régulièrement à des teintes étranges, et bavent une mousse acide fatale à toute forme de vie aquatique.
Tout allait encore très bien dans ce monde-là au début des années 80, avant que ne frappe une nouvelle crise, longtemps larvée ; mais cette fois, le rebond n’aura pas lieu. Pendant plus de dix ans, la ville, comme tétanisée, l’attendra. Elle a retiendra son souffle, s’abstiendra de bouger, ne pouvant pas croire que ce à quoi elle venait d’assister, c’était à l’effondrement d’un monde. Et tandis que ceux de ses habitants qui en avaient la possibilité s’en allaient, les plus pauvres se balkanisaient dans leurs quartiers, et cent soixante usines, doucement, se délabraient, en plein centre de la ville. Fantômes de plein jour rappelant à ceux qui auraient cherché à l’oublier qu’il n’y avait plus travail ni prospérité ici.
Dans ce songe de noirceur, Graulhet pulvérise tous les records : les indicateurs de Pôle Emploi, de la CAF et de l’Education Nationale sont tous au rouge ardent. Ville la plus pauvre du Tarn, comptant le plus fort taux d’échec scolaire, le chômage des jeunes comme des quinquagénaires le plus élevé, le plus grand nombre de bénéficiaires du RSA, de l’allocation Parent Isolé et autres revenus de survie… Quartiers dégradés, insalubres, envolée de l’insécurité et de l’incivilité, et toute la longue succession des contrats entre la ville et l’Etat qui tentent d’enrayer la perte de l’urbanité : DSQ, Plan de Relance, Contrat d’Agglomération, Contrat de Ville, CUCS, auxquels s’ajoutent ZEP, PRU et Plan de Prévention de la Délinquance…
Aux premières années du siècle, la ville présente un visage sinistré, une vraie ‘gueule cassée’ de la désindustrialisation. Sa réputation est épouvantable. C’est un endroit où personne n’a envie d’aller. Pourtant, des forces sont à l’œuvre. Attirés par les volumes des anciennes usines et le coût dérisoire de l’immobilier, des troupes de théâtre et d’art de la rue s’installent ; un maillage associatif extrêmement dense pare à la désagrégation du tissu social ; des volontés locales très fortes existent, et se manifestent de diverses manières ; en région, on commence à entendre dire qu’il se passe des choses, à Graulhet.
La rumeur a singulièrement enflé récemment, depuis que la Ville a placé l’attractivité de son territoire au cœur de son projet politique. Retournement de son image par des actions communicationnelles, culturelles et urbaines, investissement du créneau environnemental comme moteur de sa réappropriation symbolique et spatiale, expérimentations sociales, elle a ouvert plusieurs fronts à la fois et déjà enregistré des résultats, tel ce Prix Régional 2010 du Développement Durable qui lui fut décerné pour la reconversion d’un quartier d’habitat social en écoquartier social. Du traitement des friches industrielles à l’objectif Ville à énergie positive, en passant par l’expérimentation de la première navette urbaine à hydrogène en France, les projets sont nombreux, et certains déjà en chantier. Chaque fois qu’une action est possible, elle est menée, et chaque action aboutie fait reculer la déshérence de la ville, la remet en devenir.
L’équipe municipale en place souhaite faire du Dadou, la rivière redevenue poissonneuse, le fil conducteur de son réinvestissement urbain dans un objectif de développement durable.
Depuis l’interrogation de ce concept (comment appliquer concrètement la notion de durabilité à l’acte d’aménager, dans le contexte d’une ville de 12 500 habitants ?) jusqu’à l’étude de la relation de la ville à sa rivière, ce travail de fin d’études va tenter de faire émerger une proposition dans laquelle le Dadou, qui a servi de source d’énergie, de matière première et d’exutoire à la physiologie urbaine pendant près de mille ans, deviendrait le support d’une nouvelle relation des habitants à leur ville, des régionaux à Graulhet, et l’exemple d’une expérimentation urbaine contribuant à en faire une ville positive, une ville attentive, une ville de l’ère durable.